Analyses de jurisprudence
Vérification des prix
La vérification des prix tant générale que celle des prix apparemment anormaux est un exercice auquel l’adjudicateur doit se plier avec rigueur. Le Conseil d’Etat y veille.
Lors de l’analyse des offres déposées dans le cadre d’un marché, l’adjudicateur doit respecter un ordre précis pour apprécier les prix proposés par les soumissionnaires :
✅ En 1er lieu, il corrige les erreurs arithmétiques ou purement matérielles dans les offres ;
✅ Ensuite, il procède à la vérification des prix ;
✅ Enfin, si l’adjudicateur, dans le cadre de la vérification des prix, suspecte des prix anormaux, il doit procéder à un examen de la normalité de ces prix.
La vérification des prix doit ressortir de la décision motivée d’attribution.
Au travers de la jurisprudence, il est proposé d’analyser deux questions :
- L’adjudicateur peut-il se retrancher derrière la confidentialité des informations reçues lors de la justification des prix pour ne pas motiver au-delà la vérification des prix ?
- L’adjudicateur peut-il s’appuyer sur un marché précédent similaire pour réaliser la vérification des prix ?
1. Arrêt 260.462 du 26 juillet 2024
Dans un marché public de service pour le recouvrement de créances dans le secteur de l’eau (les obligations en termes de vérification des prix sont les mêmes que dans les secteurs spéciaux), l’adjudicateur a procédé à la vérification des prix et sollicité de la part de tous les soumissionnaires la justification de leur prix anormalement bas ou élevés. Il a indiqué cette vérification dans le rapport d’analyse des offres de la manière suivante : « (…) Le pouvoir adjudicateur a vérifié les justifications avancées par les 7 soumissionnaires et il ressort de cet examen que les prix proposés peuvent être jugés comme acceptables (…). Les informations données dans ce cadre étant confidentielles, l’analyse des prix n’est pas annexée au présent rapport d’attribution. (…) » La partie requérante critique cette motivation dans la mesure où elle ne permet pas de prendre connaissance des prix proposés par les différents soumissionnaires, des prix suspectés d’anormalité pour lesquels des justifications ont été demandées, des éléments présentés par les différents soumissionnaires en vue de justifier leurs prix et du raisonnement adopté par l’adjudicateur pour conclure au caractère de l’ensemble des prix proposés.
🎯C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que :
La motivation qui se limite, pour six des sept offres déposées (sauf celle de la société Iuris-Link), à indiquer que les prix détectés comme apparemment anormaux « peuvent être jugés acceptables » ou « normaux et acceptables » s’apparente à une clause de style : elle ne permet pas d’identifier correctement les difficultés auxquelles la partie adverse a été confrontée à l’occasion du contrôle des prix ni de comprendre ce qui a déterminé la partie adverse à décider que les prix proposés étaient admissibles en dépit de leur apparente anormalité.
Il peut certes être admis que, se référant à des justifications de prix, une entité adjudicatrice adopte, en raison d’impératifs liés à la confidentialité, une motivation en termes brefs, en demeurant allusive sur certaines raisons l’ayant amenée à reconnaître la pertinence des justifications du prix. Une telle motivation ne peut toutefois être excessivement laconique et doit permettre, d’une part, de vérifier que l’entité adjudicatrice a analysé les justifications invoquées avec soin et, d’autre part, de comprendre les raisons pour lesquelles elle a admis ces justifications.
Quant au caractère confidentiel des informations données lors de la justification des prix anormaux, le Conseil d’Etat précise :
D’autre part, le devoir de confidentialité s’impose à l’entité adjudicatrice sans préjudice des obligations auxquelles elle est également tenue en matière de publicité concernant les marchés publics attribués et l’information des candidats (article 13, § 2, de la loi du 17 juin 2016). Le principe de protection des informations confidentielles doit être concilié avec le devoir de motivation formelle qui s’impose à l’entité adjudicatrice et les exigences d’une protection juridictionnelle effective. Il ne suffit donc pas, pour satisfaire au devoir de motivation formelle en matière de contrôle de prix apparemment anormaux, que le rapport d’examen des offres indique que « les informations données dans ce cadre sont confidentielles ». Dans la mesure où un examen effectué en extrême urgence permet d’en juger, la partie adverse semblait être en mesure de résumer, fût-ce succinctement, la teneur des difficultés rencontrées, des justifications remises et du raisonnement suivi pour conclure à la normalité des prix qui lui semblaient anormalement bas ou élevés, sans devoir divulguer les données spécifiques relevant du secret d’affaires.
⛔ Le Conseil d’Etat a donc suspendu la décision d’attribution.
2. Arrêt 263.429 du 26 mai 2025
Dans un marché plus récent ayant pour objet la distribution du courrier médical et le transport de colis, l’adjudicateur avait conclu à la normalité des prix globaux des offres ainsi que des prix unitaires en comparant ceux-ci à un marché précédent similaire. La requérante reproche à l’adjudicateur de ne pas avoir identifié le marché auquel il fait référence et de ne pas avoir mentionné, de manière concrète, les éléments pris en compte pour considérer que les prix globaux devaient être qualifiés de normaux.
💡 L’arrêt nous enseigne que :
Contrairement à ce que soutient la requérante, il n’est pas requis que la motivation formelle de la décision d’attribution identifie davantage le marché mentionné. Il convient toutefois que le dossier administratif démontre que la vérification des prix – en l’occurrence au regard d’un « marché précédent similaire » – a eu lieu, qu’elle est concrète et qu’elle repose sur des motifs matériels exacts et pertinents.
En cours de procédure, l’adjudicateur a produit un tableau pour démontrer l’effectivité de la vérification des prix, comparant les prix unitaires des deux marchés ainsi que le rapport d’attribution et la décision d’attribution de ce marché précédent qui s’avère toutefois être un marché nettement plus important (28 fois plus élevé) que le marché en cause. Le marché précédent a de plus été attribué en 2018. Depuis cette date, il y a lieu de constater une évolution à la baisse des prix. Or, il ne ressort pas du dossier administratif comment l’adjudicateur a pris en compte cette évolution.
⛔ Le Conseil d’Etat a donc suspendu la décision d’attribution.
↪️ Pour plus d’infos sur la vérification des prix, voir notre guide de vérification des prix.
Mis à jour le 03/04/2024